CHAPITRE VI
Riant à s’en tenir les côtes, Corran se laissa tomber sur le banc et le rata. Il tomba aux pieds de M3.
— Oh, ça ! Ce n’est rien du tout. J’avais oublié !
Le Gand le regarda, perplexe.
— Ooryl ignorait que le meurtre était considéré comme une occasion de se réjouir.
Nawara Ven croisa les bras.
— Ce n’est pas le cas.
Corran réalisa soudain qu’il venait de ruiner sa tentative de socialisation. Il se releva et reprit son sérieux.
— Je peux tout vous expliquer. Je vous assure !
Le Twi’lek agita un tentacule dans sa direction.
— C’est ce qu’ils prétendent tous.
— Moi, je dis la vérité, au contraire de vos anciens clients. M3, peux-tu te connecter aux dossiers du bureau d’enregistrement ?
— Je suis capable d’un grand nombre de choses…
— Parfait. Essaie de te procurer les dossiers des contrebandiers assassinés, puis analyse leurs dates de naissance.
Les lumières faciales du droïd clignotèrent. Corran se tourna vers ses camarades.
— Quand j’étais à la CorSec, notre officier de liaison impérial était un ambitieux rêvant de devenir un Grand Moff. Il voulait que nous nous concentrions sur les contrebandiers rebelles, mais nous préférions nous occuper des pirates qui faisaient réellement du mal aux gens. Loor, l’officier en question, menaça de nous passer en jugement pour aide à la Rébellion.
Mon chef, Gil Bastra, décida d’inventer de nouvelles identités pour ma partenaire Iella Wessiri, son époux, Diric, moi et lui-même. Loor savait que nous étions amis. Gil et moi avons fabriqué de toutes pièces les dossiers des contrebandiers. Nous avons laissé entendre qu’ils étaient dangereux. Un peu plus tard, nous avons fait circuler un rapport sur leur assassinat. Loor nous a convoqués. Comme convenu, Gil m’a accusé d’avoir exécuté les contrebandiers. Je lui ai répondu que c’était faux, et qu’il ne pouvait rien prouver. Nous nous sommes disputés et « fâchés ». Loor a pris notre comédie pour argent comptant. Puis nous nous sommes arrangés pour filer tous les quatre.
Loor m’a menacé d’une marque de mort pour les meurtres si je faisais un pas de travers. Il m’a tendu un piège, mais il n’a pas réussi à me faire tuer. Quand je suis parti, il a mis sa menace à exécution. Voilà d’où vient la marque de mort.
— As-tu les dossiers, M3 ? demanda le Twi’lek.
— Oui.
— Convertis les dates de naissance en heures, inverse les valeurs pour les minutes et les heures, puis compare le tout à la date de naissance du contrebandier suivant dans l’ordre alphabétique, ordonna Corran.
— L’heure de naissance du premier correspond au mois et au jour de naissance du second, et ainsi de suite.
Corran sourit.
— Exactement. De plus, l’hôpital et la ville où ils sont censés être nés n’existent pas.
Rhysati fit un pas en avant.
— Je suis contente que tu sois innocent. Mais tu n’aurais pas pu trouver autre chose que des assassinats ?
— Pour survivre, nous étions obligés de ne pas prendre la mort trop au sérieux. De plus, la tête de Loor, quand il a lu les faux rapports, valait le coup !
— Que penserait-il du rapport concernant la mort de Gil Bastra ? demanda le droïd.
— Quoi ? s’exclama Corran.
— J’ai trouvé mention de la mort de Gil Bastra en demandant des données sur toutes les personnes concernées.
— C’est impossible !
— Le rapport était annexé à une transmission impériale par HoloNet. Numéro A34920121.
Gil, mort ?
— Je n’arrive pas à y croire.
Le Twi’lek aida Corran à s’asseoir.
— Quel est le degré de fiabilité de ce rapport ? demanda-t-il.
— Répondre à cette question pourrait compromettre des missions de renseignements, dit le droïd.
— Qu’importe, Nawara ? Le rapport était assez fiable pour être envoyé sur l’HoloNet…
Nawara sourit, montrant ses dents pointues.
— Il y a une différence, Corran. Un rapport sur sa mort a été diffusé. Cela ne nous dit rien sur la réalité. L’information se base peut-être sur quelque chose qu’a fait Bastra. Ou Loor, pour tenter de te nuire.
Il a raison.
— Tu devais être un sacré avocat, pour repérer ce type de problèmes !
— Tu m’aurais détesté si tu avais essayé de faire condamner un de mes clients ! M3, d’autres rapports corroborent-ils celui-ci ?
— Non.
— S’il en existait, cela ne changerait rien. Au moins, s’ils émanaient de la CorSec… Gil avait un accès total aux bases de données. Il aurait pu y insérer n’importe quoi, de la même manière qu’il a créé de nouvelles identités pour nous. Nous avons utilisé des noms temporaires pour aller d’un monde à l’autre. À mon dernier « arrêt », il m’a fait engager comme assistant du préfet militaire local.
Rhysati le regarda de travers.
Es-tu en train de nous dire que tu n’es pas Corran Horn ?
— Non. J’ai utilisé les identités bidons pendant ma fuite, mais je me suis joint à la Rébellion sous mon vrai nom. Ce que je vous ai dit est vrai, mais je ne vous ai pas tout dit. Pas par manque de confiance. Il y a juste des choses dont je n’ai pas envie de parler…
— Nous avons tous de mauvais souvenirs.
— Merci, Rhys. Les relations étaient plutôt tendues entre Loor et moi. Il a fini par décider de se débarrasser d’un agent encombrant. Pendant ma dernière mission, j’ai reçu une aile X, un vaisseau capturé et converti pour servir à la CorSec. J’étais censé faire une inspection surprise d’un navire de contrebandiers. Whistler était mon partenaire depuis le début, et j’avais prévu de l’emmener avec moi. Il avait un dossier complet concernant mes identités d’emprunt. Je lui avais aussi demandé de prévoir un plan de vol.
Quand je suis arrivé à l’endroit où les contrebandiers devaient être, j’ai trouvé deux escadrons de chasseurs Tie prêts à me faire la peau. J’en ai allumé quelques-uns puis je suis parti. C’est le début d’une longue histoire…
— Monsieur, demanda M3, avez-vous une copie des dossiers concernant les nouvelles identités de M. Bastra et des autres ?
— Non. Gil était le seul à les avoir tous. Je suis sûr qu’il les a détruits. Je n’ai que mon dossier, toujours stocké dans la mémoire de Whistler.
— Si vous pouviez me le communiquer, il me serait possible de chercher dans nos bases de données s’il existe des dossiers fabriqués de manière identique. Et de découvrir ainsi si nous connaissons la nouvelle identité de M. Bastra.
— Ooryl trouve que c’est une bonne idée.
Corran sourit au Gand.
— Moi aussi. Tu peux demander les dossiers à Whistler, M3.
— Très bien, monsieur. Ah, j’oubliais. Voici vos affectations. M. Horn et M. Qrygg continueront à loger ensemble. M. Ven fera chambre commune avec M. Jace, et Mme Ynr partagera les quartiers de Mme Dlarit.
Le Corellien regarda le Gand.
— Je suis au moins sûr que tu ne ronfles pas.
En fait, je ne sais pas si tu respires…
— Ooryl ne croit pas que tu ronfles non plus. Ooryl ne dort pas de la même façon que vous. La production de sons nocturnes ne le gêne pas. Ooryl les trouve plutôt apaisants.
Corran rougit, puis tapota le bras du Twi’lek.
— Ton camarade de chambre, lui, n’a rien d’apaisant !
— Tant que je ne lui disputerai pas la place devant le miroir, nos conflits devraient rester mineurs. Mais Rhysati risque d’avoir plus de problèmes avec la Thyferrienne.
— Pourquoi ? Tu crois que je me fierai à mon physique pour vous impressionner ? Pas question. Je veux travailler à devenir la meilleure pilote de l’escadron. Pas le temps de compter fleurette !
— Tu n’as pas d’efforts à faire pour être belle, Rhysati, dit Corran.
— Ouais. Rappelle-t’en quand je ferai un tas de débris de ton aile X.
— J’espère que vous ne ferez pas une chose pareille, Mme Ynr, gémit M3. J’aurais tant de formulaires à remplir… Un conseil de guerre à préparer… Les réquisitions de pièces de rechange… Je n’en finirais pas !
— Calme-toi, M3, je plaisantais.
— Oui, bien entendu… Si vous n’avez plus besoin de moi, maître Horn, j’irai rejoindre votre unité R2 pour tenter d’en savoir plus sur le sort de votre ami.
— Merci, M3, fit Corran, cachant son amusement. Nawara, y avait-il des droïds de protocole au tribunal ?
— Les tribunaux impériaux ne m’appréciaient pas. Ils n’auraient jamais laissé entrer mon droïd, même si j’avais pu m’en offrir un.
Rhysati fronça les sourcils.
— Cela diminuait les chances de tes clients. Ce n’était pas juste.
— La loi et la justice sont deux choses différentes. Notre soif de justice nous a poussés à rejoindre l’Alliance. Rhys, tu cherches la justice pour ta famille, contrainte de quitter Bespin. Je veux la justice que je n’ai pas pu obtenir pour mes clients. Corran demande la justice pour les peuples opprimés par les Impériaux.
Nawara se tourna vers le Gand.
— Et toi, mon ami, quelle justice désires-tu ?
— Ooryl ne croit pas qu’il vous soit possible de comprendre ce qu’Ooryl cherche. L’acceptation qu’Ooryl a trouvée parmi vous est un soulagement par rapport au racisme de l’Empire. Cela suffira à définir la motivation d’Ooryl.
— En effet, approuva Nawara.
Le chemin de leurs nouveaux quartiers passait par un tunnel menant à un complexe plus petit. La base rebelle était autrefois un centre minier. Folor, la plus grande lune de Commenor, avait été choisie à cause de sa proximité avec Corellia et les mondes du Noyau.
— Cherchons nous vraiment la justice, Nawara, ou la vengeance ?
— Ce sont peut-être deux aspects de la même chose. Nous voulons voir tomber l’Empire. La mort de l’Empereur est un pas en avant, mais il reste du travail. Une bonne moitié des mondes est toujours contre nous. Quand l’Empereur a dissous le Sénat, il a donné aux Grands Moffs tout pouvoir sur leurs provinces. Même si Palpatine ne l’a pas fait dans ce but, c’est devenu notre seule protection contre un désastre.
— Je sais. Sans les jeux de pouvoirs qui occupent certains Grands Moffs, nous aurions du mal à ne pas nous faire éjecter du Noyau. Et je me demande si la mort de l’Empereur et de Dark Vador n’a pas fait perdre de l’élan à la Rébellion…
— Je suis d’accord, dit Rhysati. Beaucoup de gens ont pensé qu’avec leur mort, la Rébellion avait gagné. Je suppose que la « réhabilitation » de l’Escadron Rogue signifie que le commandant Antilles et l’amiral Ackbar ont conscience que ce n’est pas vrai.
Le Twi’lek enroula un de ses tentacules autour de son épaule.
— La victoire d’Endor a prouvé que la Rébellion était un pouvoir légitime dans la galaxie. La Nouvelle République a été créée un mois après. Les mondes qui rallient ce nouveau gouvernement le font suivant leurs propres conditions. Les négociations sont dures, mais les choses avancent.
— Tu penses que la victoire d’Endor a transformé une insurrection militaire en une entité politique ?
— Presque. La politique a toujours fait partie de la Rébellion, mais elle est restée en sommeil jusqu’à la fin de la guerre. Après la mort de l’Empereur, elle a permis de fédérer nombre de mondes sans recourir aux armes. L’exemple du commandant Antilles montre bien l’importance de la politique pour la Rébellion : un chef militaire a été forcé d’entreprendre une tournée diplomatique.
— Sans parler des rumeurs sur Luke Skywalker et le retour éventuel des Chevaliers Jedi, dit Rhysati. Mon grand-père me racontait des histoires lors de la Guerre des Clones quand j’étais enfant. Les Chevaliers Jedi avaient disparu avant ma naissance.
— Mon grand-père a participé à la Guerre des Clones.
Le Twi’lek se tourna vers Corran.
— Ton grand-père était un Jedi ?
— Non, un officier de la CorSec, comme mon père et moi. Mais il a connu certains Jedi et il s’est battu à leurs côté. Son meilleur ami en était un. Il est mort pendant la guerre. Grand-père ne parlait pas beaucoup de cette époque. Quand Vador a traqué les Jedi, les ressources de la CorSec ont été utilisées pour les localiser. Mon grand-père n’a pas apprécié.
— Ce type de ressentiment engendré par les Impériaux a permis à l’Alliance de conquérir de nouvelles planètes. Malgré tout, il y a des limites à ce que les diplomates peuvent accomplir.
— D’où la reconstitution de l’Escadron Rogue.
— Exactement, Corran.
Rhysati fronça les sourcils.
— Je ne comprends pas.
— Nawara dit que les diplomates sont au bout de leurs ressources. Les mondes qui veulent rallier l’Alliance l’ont fait. Ceux qui hésitent auront besoin d’être convaincus. Thyferra, par exemple. Cette planète produit quatre-vingt-quinze pour cent du bacta de la galaxie. Elle est neutre pour le moment, mais nous aimerions la rallier à notre cause. Admettre deux de ses ressortissants dans l’Escadron Rogue est une façon de dire qu’elle est importante pour nous. Même chose pour le Bothan.
— Quant à moi, je sers pour les Twi’lek et les avocats, dit Nawara.
Rhysati éclata de rire.
— Moi, je rameute les réfugiés de tout l’univers !
— Si notre unité est un symbole composé d’autres symboles, nous devons faire quelque chose de très symbolique pour inciter d’autres mondes à se joindre à la Nouvelle République, dit Corran. Si ça signifie régler leur compte à quelques pilotes impériaux, je suis d’accord !
— Je pense que l’Escadron Rogue aura des occasions à la pelle, dit Nawara.
— Tu sais quelle cible nous sera assignée, Nawara ? demanda Corran.
— Question de logique. Espérons que notre entraînement sera parfait, car j’ai le sentiment que nous serons le fer de la lance que l’Alliance enfoncera dans le cœur de l’Empire.
Corran frissonna.
— Coruscant ?
— Quand cette planète sera vaincue, l’Empire tombera.
— Je n’ai jamais eu envie d’aller sur Coruscant, dit Corran. Mais si je dois le faire, je préfère être aux commandes d’une aile X !